Mercredi 4 juin 2025 : Nous, les parties prenantes du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) au Kenya, signataires de la présente déclaration, condamnons fermement l’arrestation, la détention et les poursuites illégales à l’encontre de Rose Njeri (@rtunguru), développeuse de logiciels et militante civique.
Rose Njeri, développeuse de logiciels et mère de deux enfants, a été arrêtée le vendredi 30 mai 2025 à la suite d’une descente de police à son domicile à Nairobi, où les autorités ont saisi ses appareils électroniques, notamment son téléphone, son ordinateur portable et ses disques durs. À ce jour, elle est toujours en détention, son lieu de détention est inconnu et elle n’a pas été présentée devant un tribunal, malgré les multiples tentatives de son avocat pour connaître les charges retenues contre elle ou obtenir sa libération. Selon certaines informations, Mme Njeri souffre d’anémie et n’a pas eu accès à des soins médicaux appropriés pendant sa détention. En outre, son arrestation et sa détention pendant un long week-end férié semblent avoir été délibérément calculées pour prolonger sa détention sans contrôle judiciaire.
L’arrestation de Mme Njeri serait liée à la création d’une plateforme civique en ligne (civic-email.vercel.app) visant à fournir aux citoyens kenyans un moyen coordonné de présenter officiellement leurs points de vue à l’Assemblée nationale dans le cadre des discussions publiques en cours sur le projet de loi de finances 2025. Cette plateforme leur permet notamment d’enregistrer facilement leurs objections à l’article 52 du projet de loi, qui propose la suppression de l’article 59A (1B) de la loi sur les procédures fiscales, qui interdit actuellement au commissaire de l’Autorité fiscale du Kenya d’exiger d’une personne qu’elle intègre ou partage des données relatives « (a) aux secrets commerciaux ; et (b) aux données privées ou personnelles détenues pour le compte de clients ou collectées dans le cadre d’activités commerciales ».
Mardi après-midi, Mme Njeri a été présentée devant le tribunal, plus de 88 heures après son arrestation, alors que l’article 49 de la Constitution prévoit qu’elle doit être traduite en justice dans les 24 heures. Pire encore, elle a été accusée en vertu de l’article 16 de la loi de 2018 sur l’utilisation abusive des ordinateurs et la cybercriminalité d’« ingérence non autorisée dans un système informatique », un délit passible d’une peine maximale de dix millions de shillings, d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans, ou des deux. Ces peines pourraient être doublées si des circonstances aggravantes sont invoquées. Mme Njeri a depuis été libérée sous caution personnelle de 100 000 shillings kenyans et devra comparaître à nouveau devant le tribunal le 20 juin 2025 pour une décision sur la validité des accusations.
Nous considérons cette accusation comme infondée, montée de toutes pièces et sans rapport avec l’infraction présumée, car elle présente un acte légitime d’engagement civique comme un cybercrime. Nous estimons que l’adoption des technologies numériques et la création d’une plateforme visant à faciliter la participation du public au projet de loi de finances 2025 constituent un exercice protégé des droits à la liberté d’expression, à l’accès à l’information et à la participation publique en vertu des articles 10, 33, 35 et 118 de la Constitution du Kenya de 2010. L’article 16 vise à lutter contre les cybercrimes graves tels que le piratage, le sabotage ou la perturbation malveillante de systèmes informatiques par des personnes agissant sans l’autorisation ou le consentement du propriétaire du système. Par conséquent, inculper Mme Njeri en vertu de l’article 16 constitue une application manifestement erronée de la loi, un abus de procédure judiciaire et un acte disproportionné qui ne démontre aucune infraction crédible, aucune ingérence ou menace pour la sécurité publique ou la sécurité nationale, contrairement à ce qui est allégué.
Les poursuites engagées contre Mme Njeri font suite à des excuses publiques récemment présentées par le président à la population. Il ne s’agit pas d’un incident isolé, mais d’un cas emblématique d’une tendance dangereuse au Kenya, où les autorités ont à plusieurs reprises utilisé diverses lois sur les TIC comme arme pour intimider et réduire au silence les détracteurs du gouvernement, les militants, les blogueurs, les journalistes, les technologues et les citoyens. Ces mesures visent à étouffer les droits numériques, le militantisme et l’espace civique, plutôt qu’à lutter contre la cybercriminalité dans le monde réel. En décembre 2024, l’Autorité des communications du Kenya (CA) a détecté au moins 840 921 998 cybermenaces, soit une augmentation de 27,2 % par rapport au trimestre précédent, mais celles-ci font rarement l’objet d’enquêtes et les cybercriminels responsables ne sont pratiquement jamais poursuivis.
Le Kenya est depuis longtemps reconnu comme un modèle de croissance numérique et d’innovation en Afrique, une réputation fondée sur son paysage technologique dynamique et un cadre constitutionnel qui garantit les droits humains fondamentaux. Un secteur des TIC prospère, innovant et compétitif est indissociable d’un espace numérique libre, ouvert et sûr. Le climat de peur, la surveillance omniprésente et les arrestations et détentions arbitraires nuisent gravement à la réputation durement acquise du Kenya en tant que pôle technologique régional. Le secteur ne peut prospérer là où les droits fondamentaux sont régulièrement bafoués ou où l’État de droit est appliqué de manière sélective. La prévisibilité et la stabilité offertes par une protection solide des droits numériques sont essentielles pour attirer les investissements locaux et étrangers, favoriser l’innovation et garantir le maintien du leadership du Kenya dans l’économie numérique.
En tant qu’acteurs du secteur des TIC, nous réaffirmons notre engagement en faveur d’un écosystème numérique ouvert, inclusif et sûr au Kenya. Nous sommes solidaires de Rose Njeri et de toutes les personnes injustement prises pour cible pour avoir exercé leurs droits numériques. L’utilisation abusive de la CMCA pour criminaliser une plateforme technologique d’intérêt public favorisant la participation civique constitue une attaque directe contre les valeurs démocratiques et l’innovation. Nous nous engageons à plaider en faveur de politiques qui protègent les droits humains tout en encourageant l’engagement civique numérique.
Nous exhortons également le public kenyan, la communauté internationale et les autres acteurs du secteur des TIC à se joindre à nous pour condamner ces violations et exiger une plus grande responsabilité.
Nous appelons également le gouvernement kenyan, les forces de l’ordre et les autorités compétentes à :
- Abandonner immédiatement et sans condition les poursuites engagées contre Rose Njeri et lui restituer sans délai tous les appareils électroniques qui lui ont été confisqués.
- Veiller à ce que les lois sur les TIC ne soient pas utilisées à mauvais escient ou comme arme pour réprimer l’exercice légitime des droits et mettre fin aux pratiques telles que les arrestations arbitraires, les détentions sans inculpation et la confiscation d’appareils.
- Collaborer avec les parties prenantes du secteur des TIC, notamment les universités, les médias, la société civile et la communauté technologique, afin d’élaborer des lois qui favorisent la cybersécurité tout en protégeant les droits humains fondamentaux.
- Faire preuve d’un engagement clair et sans faille en faveur d’un écosystème numérique ouvert, sûr et respectueux des droits, notamment en s’abstenant de procéder à des coupures arbitraires de l’accès à Internet, au blocage de contenus et à la surveillance illégale.
- Démontrer un engagement clair et sans faille en faveur d’un écosystème numérique ouvert, sûr et respectueux des droits, notamment en s’abstenant de procéder à des coupures arbitraires de l’internet, au blocage de contenus et à la surveillance illégale.
Enfin, nous réaffirmons notre engagement à défendre les droits numériques et l’espace civique au Kenya. L’utilisation d’outils numériques publics pour faciliter l’engagement des citoyens auprès du Parlement n’est pas un crime ; c’est un pilier de notre démocratie.
Signé
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