Yaoundé, le 15 avril 2025 : À l’approche des prochaines élections générales au Cameroun, Paradigm Initiative (PIN) s’inquiète de la détérioration de la situation des droits numériques dans le pays, marquée par des menaces croissantes sur les libertés en ligne, une gouvernance opaque et un rétrécissement de l’espace civique.
Entre 2024 et 2025, le Cameroun a été témoin d’une escalade alarmante des violations des droits numériques et de la répression de la liberté d’expression en ligne, en particulier dans le contexte des élections générales de 2025. Cette période a été marquée par un effort concerté du gouvernement pour supprimer la dissidence, contrôler l’information et intimider les professionnels des médias et les acteurs de la société civile.
En octobre 2024, le gouvernement a interdit les discussions dans les médias concernant la santé du président Paul Biya, suite à son absence prolongée de la scène publique. Le ministre de l’Intérieur, Paul Atanga Nji, a déclaré que tout débat sur la santé du président était strictement interdit, estimant qu’il s’agissait d’une question de sécurité nationale. Les gouverneurs régionaux ont reçu pour instruction de surveiller et de signaler toute violation dans les médias traditionnels et les réseaux sociaux, les contrevenants s’exposant à des poursuites judiciaires.
Le paysage médiatique a également été soumis à une censure accrue. L’émission politique phare d’Équinoxe TV, « Droit de Réponse », a été suspendue pendant un mois par le Conseil national de la communication (CNC) pour avoir prétendument porté atteinte à la réputation de ministres du gouvernement. Lorsque la chaîne a tenté de diffuser une émission de remplacement, « Le Débat 237 », celle-ci a également été rapidement interdite. Les journalistes associés à ces émissions ont déclaré avoir reçu des menaces de mort et avoir été contraints de se cacher par crainte d’être arrêtés.
Les agressions physiques contre les journalistes se sont intensifiées. Emmanuel Ekouli, rédacteur en chef de La Voix du Centre, a été agressé à deux reprises par des hommes non identifiés circulant à moto en juillet et août 2024, ce qui a entraîné le vol de son matériel et de ses effets personnels. Ces attaques seraient liées à son travail d’investigation sur la corruption et à l’assassinat du journaliste Martinez Zogo en 2023.
Le gouvernement a également pris pour cible des organisations de la société civile. En décembre 2024, le ministre de l’Administration territoriale a suspendu le Réseau centrafricain des défenseurs des droits de l’homme (REDHAC), un important groupe de défense des droits de l’homme, sans fournir de justification claire. Cette mesure a été largement condamnée par les professionnels des médias, qui y ont vu un recul important de la liberté d’expression.
Les coalitions d’opposition n’ont pas été épargnées. En mars 2024, le gouvernement a interdit deux alliances de l’opposition, l’Alliance politique pour le changement (APC) et l’Alliance politique pour le changement au Cameroun (APC), les qualifiant de « mouvements clandestins ». Les organisations de défense des droits de l’homme ont critiqué cette mesure qu’elles considèrent comme une tentative d’étouffer la dissidence politique à l’approche des élections.
Les campagnes de désinformation ont également manipulé l’espace numérique. Les chercheurs ont identifié des efforts coordonnés pour diffuser de fausses informations sur les partis d’opposition, y compris l’utilisation de faux comptes de médias sociaux et d’opérations d’influence étrangères. Ces campagnes visent à saper la crédibilité du processus électoral et à manipuler la perception du public.
Ces développements soulignent une tendance troublante à l’augmentation de la répression et du contrôle des espaces médiatiques numériques et traditionnels au Cameroun, ce qui soulève de sérieuses inquiétudes quant à l’intégrité des prochaines élections et à l’état des droits de l’homme dans le pays.
À la lumière de ces préoccupations, PIN et CIVIC WATCH appellent aux actions suivantes :
Au gouvernement du Cameroun :
- Garantir un accès ouvert et ininterrompu à Internet avant, pendant et après les élections.
- Cesser d’utiliser des lois vagues ou trop larges pour criminaliser l’expression légitime et la dissidence en ligne.
- S’abstenir de toute surveillance arbitraire ou de tout harcèlement en ligne des journalistes, des militants et des citoyens ordinaires.
- Divulguer de manière proactive les informations relatives aux élections, y compris les listes électorales, les détails sur les candidats et les principaux calendriers, dans des formats accessibles.
À l’Agence de régulation des télécommunications (ART) et aux opérateurs de réseaux :
- Maintenir la transparence autour de toute demande gouvernementale de fermeture ou d’accès aux données et s’engager à faire respecter les droits des utilisateurs.
- Garantir l’égalité d’accès à l’infrastructure numérique, en particulier dans les zones rurales et mal desservies.
- S’engager avec la société civile pour instaurer la confiance et améliorer la responsabilité dans le secteur des communications numériques.
Aux partis politiques et aux candidats aux élections :
- Évitez de parrainer ou de diffuser en ligne de la désinformation, des discours haineux ou des contenus incitatifs.
- Utiliser les plateformes numériques pour partager avec les électeurs des informations précises, inclusives et vérifiées.
- Respecter les droits des médias et des acteurs de la société civile à opérer librement en ligne.
Aux acteurs de la société civile et des médias :
- Continuer à surveiller les violations des droits numériques, à en rendre compte et à plaider en faveur d’une réforme des politiques.
- Renforcer les initiatives de vérification des faits et les campagnes d’alphabétisation numérique pour responsabiliser les électeurs.
- S’engager dans une collaboration intersectorielle pour promouvoir une participation numérique sûre et inclusive.
Publié par : Initiative Paradigme (PIN)
Date : le 15 avril 2025