Par Emmanuel Vitus
Le Sénégal est le seul État d’Afrique occidentale, îles exceptées, à ne pas avoir subi de coup d’état depuis son indépendance, en 1960. La transparence et stabilité qui ont toujours marqué les échéances électorales ont contribué à faire du pays un exemple régional. Mais le prochain scrutin présidentiel s’annonce dans un climat tendu caractérisé par la montée en puissance des « Fake News » et des discours de haine en ligne.
Alors que la campagne électorale a débuté depuis une semaine, sur les réseaux sociaux, les campagnes de dénigrements et de désinformations sont au firmament. Pour contrer le phénomène, le gouvernement a annoncé l’adoption de nouvelles dispositions contre la diffusion des « Fake news » et des discours de haine sur internet.
Mais déjà, plusieurs voix s’élèvent aussi bien dans la société civile que du côté de la presse.
Même s’ils reconnaissent de façon unanime l’urgence de mettre un terme à l’hémorragie des « Fake news », les professionnels des médias craignent que la nouvelle loi à adopter ne restreigne l’espace de la liberté d’expression ou ne soit instrumentalisée par les pouvoirs publics pour museler la presse.
Aussi, plusieurs tribunes ont été commises par des journalistes sénégalais pour alerter l’opinion sur les risques de censures et d’extrapolation des accusations de « Fake News » que les pouvoirs publics pourraient porter contre tout Sénégalais dès que leurs intérêts seront menacés.
Peine d’emprisonnement
Du point de vue juridique, c’est l’article 255 du code pénal qui réprime la diffusion des « Fake news » au Sénégal. La disposition punit d’une peine d’emprisonnement de trois (3) ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 FCFA la « publication, diffusion, divulgation ou reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers (…) lorsque la publication faite ou non de mauvaise foi, aura entraîné la désobéissance aux lois du pays ou porté atteinte au moral de la population, ou jeté le discrédit sur les institutions publiques ou leur fonctionnement ».
Selon la loi sénégalaise, en cas de diffusion de « Fake news », le mandat de dépôt est obligatoire (art 139). De même, les auteurs pourraient être frappés d’une interdiction de séjour sur le sol sénégalais durant cinq (05) ans au plus.
Article 27, l’épée de Damoclès
Bien que le gouvernement ait annoncé à plusieurs reprises ne pas vouloir entraver la liberté des Sénégalais, l’article 27 d’un projet de loi portant « Code des communications électroniques », déjà adopté en conseil des ministres le 6 juin 2018, laisse des doutes sur la sincérité des engagements du pouvoir public à laisser l’internet ouvert lors du prochain scrutin.
Dans un de ses alinéas, il stipule, entre autres, que « l’Autorité de régulation peut autoriser ou imposer toute mesure de gestion du trafic qu’elle juge utile pour, notamment préserver la concurrence dans le secteur des communications électroniques et veiller au traitement équitable de services similaires ».
Cette clause selon la société civile, témoigne à suffisance de la volonté des autorités étatiques de livrer les Sénégalais au diktat du régulateur et des opérateurs lors du prochain scrutin.
Perte évaluée à 3 milliards
Si le gouvernement de Macky Sall venait à couper l’internet le 24 février prochain, près de 10 millions d’internautes seront déconnectés du monde sans compter les conséquences sur la vie socio-économique du pays.
Une journée de coupure d’internet au Sénégal coûtera environ 5 849 015 dollars US soit environ 3 370 101 532 CFA par jour selon les estimations de Netblocks, une plate-forme qui évalue l’impact économique des coupures d’internet à travers le monde. C’est un minimum parce que l’estimation ne comprend pas les paiements mobiles, les transactions du secteur informel et les recettes fiscales.
Une probable coupure constitue un danger pour le développement de l’économie numérique pour la jeunesse de ce pays en particulier. Cette jeunesse ambitieuse, en quête de revenus qui s’activent dans l’entrepreneuriat numérique.
Aussi, une éventuelle coupure constituerait un frein au développement de toutes les entreprises sénégalaises et couches sociales qui dépendent du numérique.
Vivement que le Sénégal, reconnu mondialement pour ces politiques progressives, maintienne l’internet ouvert lors du prochain scrutin pour l’intérêt de ses 16 millions d’habitants, car la liberté d’expression et de communication est une liberté fondamentale pour toute démocratie.
Emmanuel Vitus est membre de Google Policy chez Paradigm Initiative.